Oui un beau succès que cette conférence organisée dans l’ancienne Armorique par l’Association France Celtique. Il m’a semblé entendre le chiffre de 80 personnes présentes. Des jeunes et des moins jeunes.
Comme il se doit avec un thème pareil, M. Savignac a commencé par gratifier l’assemblée d’un
« Suauelos Lanon » haut en sonorités.
D’ailleurs il a rappelé que Diodore de Sicile parlait ainsi des Gaulois lorsqu’ils parlaient :
« En général, les Gaulois sont terribles à voir. Ils ont la voix grosse et rude, ils parlent peu dans les compagnies et toujours fort obscurément, affectant de laisser à deviner une partie des choses qu’ils veulent dire. L’hyperbole est la figure qu’ils emploient le plus souvent, soit pour s’exalter eux-mêmes, soit pour rabaisser leurs adversaires. Leur son de voix est menaçant et fier, et ils aiment dans leurs discours l’enflure et l’exagération qui va jusqu’au tragique. Ils sont cependant spirituels et capables de toute érudition. » (trad. Abbé Terrasson).
Autrement dit les mots font ce qu’ils disent. Tout l’inverse de notre époque où le langage est châtié et de l’ordre du politiquement correct.
Les sources de la langue gauloise (6 sources différentes) :
- Les citations d’auteurs grecs et latins. Ex. Koûrmi « Bière d’orge fermenté »
- Des emprunts, surtout latins, au vocabulaire gaulois
- Des noms propres de personnes, de lieux, de cours d’eau, de villes, offrant un sens. Ex. M. Rivière « Abudos », M. Pommier « Abellos », M. Leboeuf « Bouos, …
- Des gloses ou annotations écrites, antiques ou médiévales
- Des inscriptions tracées dans l’Antiquité en langue gauloise à l’aide des alphabets étrusque, grec et latin.
Cette dernière source est très précieuse puisqu’elle permet, quand le texte est assez étendu, de produire des phrases, de faire progresser les connaissances de la syntaxe.
Exemples :
1) Inscription sur la stèle de Plumergat en Morbihan datée du IIIe ou IV siècle de l’ère vulgaire. Les mots en détail selon Wendy Davies :
U[..]PQS : ce mot est trop mal conservé pour être lu, il a autrefois été interprété comme un nom propre du style Uabros
: ri est un préverbe perfectif et out semble une forme tardive du verbe auot, attesté dans d'autre dédicaces gauloises ; d'où : "a érigé".
ATEREBO : père au datif pluriel. On aurait plutôt supposé une forme *atrebo, aterebo pourrait s'expliquer par l'influence du nominatif singulier atir ou par le rétablissement fautif d'une voyelle amuïe. Ce mot est parent de l'irlandais athir, tandis que le breton n'a conservé que l'hypocoristique tad.
ATE[MI]NTOBO : On explique ce mot par l'ancien gallois etuynt (sage) provenant d'un plus ancien *ate-mento (de nouveau + esprit ; d'où souvenir). On traduit ce mot, décliné au datif pluriel, par "à la mémoire de".
DURNBOGIAPO : l'élément durn- est transparent pour un bretonnant (breton moderne dorn) et signifie main. L'élément -bogia- s'explique par l'ancien irlandais bongaid (cassures) et -po est sans doute une variante orthographique de la terminaison -bo du datif pluriel. On le traduit par "gravée à la main".
NB : On notera que le verbe
RI[.]OUT est en seconde position, comme en breton, et non en début de phrase comme en gallois.
Ainsi la traduction pourrait donner :
Uabros a érigé [cette] pierre gravée à la main en souvenir des Pères.2) Sur un peson de fuseau daté du IIe siècle èv et trouvé à Autun, en territoire Eduen (départ. 71 actuel) :NATA UIMPI CURMI DA
[G]NATA UIMPI CURMI DANB : Il faut rajouter le "G" pour une traduction plus accessible puisqu'en gaulois "fille" se dit Gnata à l'origine
Jolie fille [donne] une bonne bière3) Sur une pierre en caractères grecs datée du IIe siècle èv trouvée à Orgon (départ. 13 actuel) :UEBRUMAROS
DEDE TARANOU
BRATUDEKANTEMUebrumaros [« le Riche-en-ambre »]
A donné à Taranos
Pour l’exaucement d’un vœu.M. Savignac nous a fait part comme quoi toutes les inscriptions, constituant un
corpus renfermant tout le gaulois écrit au cours de l’Antiquité, sont regroupées dans le RIG, Recueil des Inscriptions Gauloises dont le dernier volume est dû à Pierre-Yves Lambert et paru en janvier 2004.
Dans le vocabulaire français il existe et dans la toponymie de la France des termes d’origine gauloise assez nombreux pour que les vocables apparaissent comme des mots originaires. Voici une liste de mots gaulois que M. Savignac nous a donnée et en face desquels nous devions inscrire la traduction en français.
M. Savignac a déploré que les textes épigraphiques en langue gauloise ne soient pas assez longs pour permettre l’élaboration d’une véritable syntaxe. Il est à souhaiter que les pelleteuses trouvent quelques dizaines de supports pour en prolonger la connaissance.
Et surtout que des chercheurs se penchent en plus grand nombre sur cette langue supplantée par le latin des marchands, puis des légionnaires, et après la conquête de la Gaule, par l’administration romaine et enfin par l’évangélisation chrétienne. Il est certain que certaines régions ont résisté davantage à la latinisation (Armorique, Normandie, Auvergne, …) car éloignées des contacts italiens. Que dire aussi des « puissants » du camp occidental d’aujourd’hui et de l’élite intellectuelle qui se réfèrent encore à la culture gréco-latine ? Et de l’Eglise catholique, apostolique et romaine qui sous prétexte de lutter contre le paganisme, a rejeté toutes paroles, formules et écrits en gaulois.
Le gaulois, cette langue ancienne, fait partie du patrimoine culturel européen et apporte un plus à la France. La langue gauloise est la preuve que les Gaulois n’étaient pas des primitifs bredouillants, mais des hommes et des femmes aussi éloquents que leurs homologues grecs et latins !
En tous cas un grand merci à Jean-Paul Savignac et à l'Association France Celtique de la part de Matolituos !