LA GRANDE PRETRESSE« O Mère Divine, Toi dans la forme d’énergie créatrice, je me prosterne devant Toi ! »
Vedanta, 4-5, 5-26La fontaine« Le soleil couchant disparaissait derrière les nuages, et pourtant une lumière dorée persistait sous les arbres, illuminant chaque feuille d’une lueur irréelle. Deux jeunes filles marchaient le long d’un chemin forestier et leurs cheveux, sous les branchages, se teintaient d’une même couleur. La forêt dense et sombre qui s’étendait sur cette partie du centre de l’Armorique les enveloppait dans un clair-obscur doux et calme, et la fraîche caresse de minuscules gouttelettes d’eau s’écoulant des rameaux mouillés parsemait leurs visages de multiples bénédictions.
Elana aspira profondément l’air humide, lourd de toutes les senteurs, aussi enivrantes que l’odeur des résines au sortir de la salle enfumée de la maison familiale. Ayant su par ouï-dire qu’on utilisait des plantes sacrées dans le Sanctuaire des lieux pour purifier l’air, instinctivement, elle se redressa, cherchant à ressembler aux prêtresses qui y vivaient, à marcher comme elles, avec autant de grâce, à épouse le rythme de leurs corps à la fois étrange et naturel, comme si, de tout temps, elle avait su le faire.
Venant d’atteindre l’âge de la puberté, on l’avait autorisée à porter les offrandes de printemps. « Comme l’eau sacrée des premiers beaux jours rend sa fertilité à la terre, te voilà devenu femme » lui avait dit sa mère.
La nuit passée, Elana avait longuement contemplé l’astre nocturne, éprouvant un sentiment d’attente indéfinissable, sachant que dans le Sanctuaire, les rites de la saison nouvelle faisaient appel à la Déesse afin qu’Elle apparaisse au soir de la pleine lune. Et si, s’était-elle demandée, la prêtresse de l’Oracle me désignait pour servir la Déesse aux fêtes des Belotennia ? imaginant déjà la longue traîne d’une robe de pure laine blanche glissant sur l’herbe derrière elle, un voile mystérieux dissimulant ses traits.
- Eh bien, Elana ! questionna soudain la jeune fille qui la précédait, que fais-tu ? Pourquoi marches-tu si lentement ? Il fera nuit avant notre retour si nous ne nous pressons pas !
La voix de Dedmia sa compagne, fit sursauter Elana. Elle trébucha sur une racine d’arbre et manqua de laisser tomber son panier d’osier. Rougissante, elle retrouva l’équilibre et activa le pas. Déjà lui parvenait le doux murmure de la source qui apparut peu après, jaillissant d’une crevasse. Un petit agencement de pierres maçonnées permettait qu’on y dépose des offrandes, et le coudrier, certes encore jeune, voulait bien qu’on lui attache des rubans votifs.
Les jeunes filles s’installèrent près du bassin et étendirent sur le sol un linge où elles disposèrent leurs offrandes, de délicieux gâteaux au miel, un flacon d’hydromel et quelques pièces de cuivre. Ce n’était bien sûr qu’une petite fontaine, résidence d’une déesse modeste, et non l’un de ces grands lacs sacrés où des armées entières venaient offrir en sacrifice leur butin. Ici, depuis de nombreuses années, les femmes de la famille apportaient simplement des dons chaque mois, après leurs cycles périodiques, afin de renouveler le lien les unissant à la Déesse Mère. Frissonnant un peu dans l’air frais du soir, elles ôtèrent leur robe et se penchèrent au-dessus du bassin.
-Source sacrée, corps de la Déesse, berceau de toute vie, donne-nous le pouvoir d’en faire éclore une nouvelle…
Elana prit un peu d’eau dans ses mains et la laissa couler sur son ventre et entre ses cuisses. -Source sacrée, murmura-t-elle, lait de la Déesse, toi qui nourris le monde, donne-moi le pouvoir de nourrir ceux que j’aime. »
«Source sacrée, poursuivit-elle, ses jeunes seins frémissant sous la caresse de l’eau, esprit de la Déesse jaillissant depuis toujours des profondeurs de la terre, donne-moi le pouvoir de faire renaître le monde...
Comme elle fixait intensément l’eau, Elana vit alors son reflet pâle se dessiner sur la surface apaisée de la fontaine, puis se transformer peu à peu en celui d’une vieille femme à la peau grise, aux cheveux rougeoyants parsemés d’étincelles, mais qui gardait curieusement ses yeux à elle.
Elana…
Entendant la voix de Dedmia, la jeune fille cligna des yeux et le visage qui la regardait redevint tout à coup le sien. Un souffle de vent la fit frissonner. Elle remit précipitamment sa robe, imitée par Dedmia qui saisit le panier à gâteaux et s’adressa à son tour à la fontaine :
Dame de la Source Sacrée,
Prends ces offrandes que je t’ai apportées ;
Je prie pour l’amour, la chance et la vie !
Déesse, accepte, je t’en prie, mes présents aujourd’hui.
« Si nous nous trouvions dans le Sanctuaire, songea Elana, cette prière serait accompagnée par un cœur de prêtresses. » Alors elle joignit sa voix faible et un peu hésitante à celle de Dedmia, forte et tranquille :
Déesse, bénissez maintenant champs et forêts.
Qu’ils daignent nous accorder leurs bienfaits
Et prodiguent aux humains et aux bêtes, force et vigueur.
Protège, ô Déesse, nos cœurs et nos corps !
Elana versa un peu d’hydromel sur la surface de l’eau tandis que Dedmia émiettait de son côté les gâteaux préparés à cette intention ; puis les 2 jeunes filles laissèrent tomber une à une les pièces de cuivre qui disparurent aussitôt.
Alors les rides de l’onde s’estompèrent et les 2 visages tout près l’un de l’autre et si semblable, apparurent distinctement. Craignant de voir à nouveau le visage de la vieille femme, Elana se raidit, mais fut bientôt rassurée. Cette fois, c’était bien les siens qui se reflétaient dans l’eau calme, ses yeux à elle qui brillaient comme les étoiles dans un ciel d’été.
« Dame, êtes-vous l’esprit de la fontaine ? chuchota-t-elle en elle-même. Que voulez-vous de moi ? Une vive lumière inonda son âme et sembla lui apporter une réponse et elle crut tout à fait entrevoir, dans un éblouissement, le visage rayonnant de la Mère Eternelle.
Elana, s’impatienta Diedma, qu’as-tu ? Pourquoi es-tu si bizarre aujourd’hui ?
Mais Dedmia ! Tu ne l’as donc pas vue ? Elle était là dans la fontaine !
Dedmia soupira avec agacement.
Décidément tu me fais penser à ces vieilles de Uernemeton qui, dit-on, racontent à tout le monde leurs visions !
Comment oses-tu parler ainsi, toi, la fille d’un Ollamos ! Ton imagination est celle d’une grenouille ! Tu devrais songer à devenir plus réfléchie ! »